? La complantation, une pratique archaïque ?

?‍? Ce que tu vas apprendre aujourd’hui : 

• Les deux méthodes auxquelles ce mot renvoie
• Son histoire : de son origine à sa disparition
• Son fonctionnement : dans la vigne, au chai et à lors de la dégustation
• Déguster et découvrir des domaines en complantation
• Mon avis sur la question 

? La complantation, c’est quoi ? 

Deux pratiques distinctes

Ce mot désigne deux pratiques liées à la vigne et pourtant bien distinctes :

• Remplacement des anciens pieds de vignes par de nouveaux au fur et à mesure de leur dépérissement
• Acte technique et culture de différentes variétés de raisins sur une même parcelle pour ensuite les récolter et les vinifier ensemble

C’est bien la seconde définition qui nous intéresse, aussi appelée plantation mixte ou  poly-cépages.

? La complantation, d’où ça vient ?

⏳ Origine de la complantation

La complantation est une pratique méconnue du grand public et considérée comme archaïque par la plupart des institutions. 

Pourtant, c’est une méthode ancestrale (surtout en Alsace) considérée comme la plus ancienne forme de viticulture.

Avant, aucun vigneron ne se serait risqué à une production issue d’un seul et même cépage ! ?

N’oublions pas que les hommes travaillant la vigne n’étaient non pas des viticulteurs, mais des paysans généralement pauvres. Ils n’avaient pas la technicité ni accès aux mêmes connaissance que nous. Imagine la catastrophe lorsque toute une récolte était emportée par la maladie… 

Pour garantir une production chaque année, la solution était de planter différentes variétés de raisins sur une même parcelle. Certains cépages étaient touchés par la maladie, d’autres non et l’ensemble se compensait.

Historiquement, les variétés n’étaient pas aussi bien sélectionnées qu’aujourd’hui. Les paysans ne plantaient pas des parcelles complètes mais replantaient des pieds dépérissant en les greffant avec les pieds de vignes attenant (ça s’appelle le marcottage, tu comprends le lien avec la première définition vue plus haut ?). Ils dépendaient de ce qu’ils avaient autour d’eux.

Les plants qui donnaient du raisin d’une année sur l’autre étaient replantés, tandis que les autres non. Il n’y avait pas spécifiquement de recherche d’assemblage.

De cette technique découle une approche du vin bien différente de la nôtre : la complantation permet au terroir d’imposer son goût obtenant un profil type du terroir et non plus d’un cépage. C’est aussi pour ça qu’à cette époque, on parle de Vin De Lieu et non pas de variété de raisin (cépages).

? Disparition de la complantation

La complantation a disparu en même temps que l’ancien vignoble français dans les années 1860… Ça te dit quelque chose l’insecte appelé le phylloxéra ? ?

Malgré toutes les mesures prises pour le stopper, ce puceron a détruit le vignoble français et européen dans les années 1860 en s’attaquant aux racines des vignes. Pour te donner un ordre d’idée, près de 70 millions d’hectolitres de vins étaient produits dans les années 1840, pour seulement 25 millions d’hectolitres en 1879. Soit 65% du vignoble français décimé ! ?

Une seule solution s’imposa : l’arrachage du vignoble historique français et le plant de porte-greffes américains résistant à la maladie. Après cette grande crise, le vignoble français a été reconstruit et réagencé. 

? Les appellations face à la complantation

En 1935, le ministre de l’agriculture de l’époque, Joseph Capus, met en place la loi Capus qui réglemente la paysage viticole selon de nombreux critères :

• Adoption de portes-greffes américains pour lutter contre le phylloxéra (pas le choix ?)

• Plantation de rangées en ligne avec des écarts plus grands pour faciliter les traitements
• Réduction du nombre de pieds à l’hectare
• Réglementation des régions viticoles
• Homogénéisation des parcelles

Et surtout, des autorisations de cépages :

• Adaptés aux portes-greffes
• Consacrées aux usages locaux constants
• Résistants aux maladies
• Adaptés et rationalisés à un terroir et un climat

C’est la naissance des appellations d’origine contrôlée (AOC). Leurs cahiers des charges sont très strictes et ont plusieurs objectifs :

• Réguler la fraude
• Valoriser les produits 
• Valoriser les méthodes de production
• Valoriser le savoir-faire

En soit, les AOC n’ont jamais été mises en place pour faire de l’ombre à la complantation. Bien au contraire, la notion d’AOC est intimement liée à la notion de terroir ! C’est d’ailleurs pour cela que les appellations portent des noms de lieux et non pas de cépages (pour la plupart).

Ce qui a définitivement fait disparaître la complantation c’est l’industrialisation et la surproduction d’un marché en reconstruction. Pour s’y faire une place, les clones étaient la solution.

Tu t’en doutes, même si cette évolution était nécessaire, elle fait défaut à la complantation qui n’y trouvait pas sa place et est finalement sortie des critères rationnels de la viticulture actuelle.

? L’avenir de la complantation

La complantation est-elle une pratique archaïque et obsolète ou au contraire, novatrice ?

Le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité sont des problèmes qui reviennent continuellement et pour lesquels il faut rapidement trouver des solutions. 

Malheureusement, la recherche, les progrès techniques et les améliorations végétales sont bien trop lentes et les réponses accordées sont rapidement obsolètes.

La biodiversité devient un outil beaucoup plus efficace et rapide à mettre en œuvre en répondant naturellement à certaines problématiques. 

? C’est dans ce contexte que la complantation fait son grand retour et qu’elle a de l’avenir.

? La complantation : comment ça fonctionne ?

La complantation, c’est une philosophie : la volonté de laisser faire la nature ! La motivation des domaines est justement : 

• de créer des vins authentiques
• à l’image brute d’un terroir et unique
• hors des normes des cahiers des charges

⛏️ Viticulture

Concrètement, comment se déroule la complantation :

Déjà, la complantation ne peut pas se faire n’importe où, il faut des parcelles adéquates sélectionnées par un(e) vigneron(ne) avec l’expérience et la connaissance obtenue en observant continuellement son vignoble.

Concernant le nombre de cépages complantés, il n’y a pas de limites particulières : pour te donner un exemple, le domaine Marcel Deiss complante un ensemble de 60 cépages sur certains terroirs.

Ces cépages sont ensuite plantés de manières totalement mélangées afin d’entrer en totale synergie.

Soigneusement sélectionnées, les plantes ne se concurrencent pas. Au contraire, elles communiquent et se compensent par une régulation et des sécrétions naturelles.

Cette technique peut être comparée aux couverts végétaux ! Tu connais ? ?

Couverts végétaux : trié sur le volet, cet ensemble de plantes (Vesce, Seigle Fourrager, Trèfle…) disposé entre les rangs de vignes offre de nombreuses vertus à la vigne : 

• Préserve l’humidité en été (parfait contre le réchauffement climatique)
• Protège des grands froids l’hiver
• Favorise la biodiversité (abeilles et insectes en tout genre !)
• Fixe l’azote (élément constitutif des éléments vitaux de la vigne : acides aminés, hormones…)
• Déstructure le sol (pour laisser passer les nutriments et les bonnes bactéries)
• …

La complantation fonctionne de la même manière ! ?

? Vinification

Cet ensemble est ensuite vendangé en fonction de la maturité du cépage le plus tardif.

Dans la même logique, les raisins sont pressés, fermentés et vinifiés ensemble, on appelle ça la cofermentation. 

À ne pas confondre avec l’assemblage : deux ou trois cépages différents sont assemblés à la fin de leur vinification, après avoir été vendangés et vinifiés séparément. 

C’est à ce moment que nous avons deux sons de cloches :

1. Ceux qui pensent que c’est ridicule de vendanger deux cépages qui n’ont pas le même cycle de vie 
2.  Ceux qui expliquent qu’une harmonie et un équilibre naturel se crée entre les espèces. 

? Dégustation de vin issus de la complantation

La complantation permet une autre approche de la dégustation ! ?

Pour apprécier complètement les vins en complantation, il faut presque laisser de côté les notions de dégustation acquises pour découvrir une toute nouvelle approche. Même si nous n’y sommes pas habitués (toi comme moi, je te rassure), déguster un vin issu de la complantation implique de ne plus raisonner en cépage.

Le site du domaine Marcel Deiss l’illustre à merveille : il appelle cela la dégustation géo-sensorielle. ?

La géo-dégustation c’est chercher à exprimer un terroir en se concentrant sur les perceptions tactiles du vins comme la consistance, la température, la texture… 

On va donc essayer de trouver de quel type de sol provient un vin (calcaire, argile, granit, sable…) en fonction de ses caractéristiques en bouche (chaud, froid, fin, épais…).

Comme le dit si bien le domaine Laroque D’Antan :

Un « Terroir » c’est un lieu, une identité qui ne doit pas être adapté par le vigneron, pour que le sol restitue au vin le caractère singulier et l’énergie du lieu où la vigne est née.

Si ça vous intéresse, on pourra parler de ça plus en détail dans un article dédié ?

?‍? La complantation, qui la pratique ?

Quelques domaines en complantation

Encore aujourd’hui, quelques domaines sortent du lot en pratiquant toujours cette méthode. Pourtant, ceux-ci sont à peine recensés et seule une poignée la pratique encore. 

Les chiffres manquent et ceux que j’ai trouvés datent un peu, mais en 2011, ce marché de niche représentait 74 ha en Alsace, soit 0.5% des surfaces de production de la région…

Certains d’entre eux se sont associés afin de faire perdurer ce savoir-faire : le Groupement des Vignobles Complantés ?

• Le Domaine Marcel Deiss (Alsace)
• Le Vignoble du Rêveur (Alsace) Mathieu Deiss gère actuellement le domaine Marcel Deiss avec son père et a également fondé Vignoble du Rêveur.
• Le Champagne de Geoffroy (Champagne)
• Le Domaine Laroque d’Antan (Cahors)
• Le Domaine Beaurenard (Châteauneuf-du-Pape)

?Découvrir 3 cuvées en complantation

En soit, la complantation est autorisée dans les AOC. Elle est simplement très rare et apparentée à un assemblage directement sur la parcelle. 

Voici quelques exemples d’appellations de France et d’ailleurs autorisant la complantation, de manière plus ou moins directe :

Je te préviens, il est assez rare de trouver ces bouteilles, donc parfois les prix montent vite. ?

France

Alsace, AOC Alternberg et Kaefferkopf, Marcel Deiss, 70.00€

Au moment de la mise en place de l’appellation Grand Cru et malgré la reconnaissance de leur qualité supérieure, les AOC Kaefferkopf et Altenberg de Bergheim n’ont pas pu bénéficier de la dénomination Grand Cru. La cause : les deux terroirs historiques étaient (et sont) complantés.

C’est seulement dans les années 2000, par le biais de nombreuses demandes, que sera signé un décret permettant de complanter tout en gardant la mention Grand Cru sur deux terroirs uniquement : le Kaefferkopf et l’Altenberg de Bergheim.

Vallée du Rhône, AOC Côte Rôtie, La Barbarine, Domaine Gangloff, 145.00€

Le cépage principal est la Syrah et le cépage accessoire le Viognier, lui-même autorisé en assemblage en cuve mais aussi en parcelle !

La présence du cépage accessoire est autorisée en mélange de plants dans les parcelles plantées en cépage Syrah, dans la limite d’une proportion de 20 % des pieds (…) Source : Cahier des Charges de l’AOC Côte Rôtie.

Suisse

AOC La Côte, Domaine La Colombe, 22.00€

Appellation du Canton de Vaud en Suisse, c’est une appellation autorisant le plant, la récolte et la fermentation simultanés de plusieurs cépages (chasselas, doral, pinot gris, pinot noir, riesling ou encore gamay) provenant d’une même parcelle.

? Les avantages de la complantation

Leurs avantages sont nombreux et découlent tous de la communication, de l’échange et de l’influence des différentes variétés de plantes entre elles.

• Affirmation du terroir (et non pas d’un cépage !)
• Autosuffisance des plants : Protection contre les maladies, équilibre et expression naturelle de la vigne
• Respect d’un patrimoine familiale et préservation d’un savoir-faire
• Nouvelle piste d’adaptation au réchauffement climatique
• Remise en question de notre système de fonctionnement

Que de belles choses !

? Mon avis sur la complantation

Finalement, la complantation est loin d’être une pratique archaïque et est une méthode trop peu connue selon moi. Elle présente beaucoup de sens et des avantages très intéressants, surtout en cette période de trouble climatique : les plantes s’autosuffisent et s’adaptent entre elles.

Elle remet notre mode de fonctionnement en question. Notre but n’est-il pas d’obtenir le meilleur vin possible ? Le fonctionnement des appellations est-il le plus avantageux ? Ne serait-il pas intéressant de nous ouvrir à d’autres méthodes ? Les vins issus de la complantation sont hors normes et promettent de toutes nouvelles cuvées, unique en leurs genres. 

Mais ce caractère hors norme bouleverse les codes, notamment ceux de la dégustation professionnelle et des critiques œnologiques. Comme tout gros changement, il faudra du temps et beaucoup de pédagogie pour faire adopter ce changement à plus grande échelle et dans la durée. 

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